vendredi 27 février 2009

Qu'est-ce que la mobilité sociale?

Vous connaissez l’adage “tel père tel fils”, c’est aussi le titre d’un ouvrage du statisticien Claude Thélot, publié en 1982, dans lequel il essaye de cerner la problématique de la mobilité sociale. Qu’entend-on par là ? La mobilité sociale, c’est le degré de circulation des individus entre différentes positions de la hiérarchie sociale. On peut affiner cette notion en distinguant la mobilité intra-générationnelle de la mobilité intergénérationnelle. La mobilité intra-générationnelle, ce sera celle que connaîtra un individu donné au cours de sa vie, il sera appelé à connaître différente position. La mobilité intergénérationnelle va nous parler de l’indépendance entre ce que vit l’individu et la position qu’occupait un de ses parents. C’est cette deuxième notion qui cristalise le plus souvent l’intérêt – donc, celle de mobilité intergénérationnelle. Là encore, on peut de nouveau affiner un peu la définition en parlant de mobilité structurelle et de mobilité nette.
La mobilité structurelle, c’est celle qui retrace l’évolution de la société, le fait par exemple qu’au fil des générations la société française compte moins d’agriculteurs, plus de cadres. Mécaniquement, ce changement de structure va se traduire par un certain degré de mobilité.
La mobilité nette est une notion plus complexe, plus problématique, et surtout elle recèle davantage d’enjeux, parce que la mobilité nette c’est celle qui, très très précisément, va nous parler de l’indépendance entre ce que vit l’individu et la position d’un de ses parents, toutes choses égales par ailleurs. C’est là vraiment qu’est l’enjeu de la fluidité sociale. Concrètement, cela veut dire quoi ? Cette mobilité nette va nous permettre de savoir si on est dans une société de caste, où le devenir de chacun est figé, entièrement défini par sa naissance, ou dans une société méritocratique. L’institution au cœur de cette mobilité c’est l’école, qu’on qualifie, quelquefois, d’ascenseur social. Le constat que l’on fait, aujourd’hui encore, en France, qui est une société républicaine, réputée méritocratique, c’est celui d’un certain degré d’inertie des inégalités devant l’école au fil des générations. Alors, comment explique-t-on cela ?
Sans rentrer dans les détails de cette question qui n’est pas tranchée mais qui est importante, parce que c’est un véritable enjeu de politique publique, l’on peut mentionner deux grandes analyses qui essayent d’expliquer cette inertie des inégalités devant l’école. La première que je voudrais citer, c’est celle de Raymond Boudon, dans son ouvrage de 1973 “L’inégalité des chances”. Raymond Boudon a une approche en termes “d’Homo economicus”, s’attelant à préciser les choix des individus et de leurs familles devant la poursuite d’études, où ils mettent en avant un véritable calcul rationnel, où l’individu va pondérer le coût de la poursuite des études, le bénéfice qu’il en retire et le risque inhérent à cette poursuite d’études. Ce que montre Boudon, c’est que les individus sont très marqués par leur milieu d’origine et que, notamment, les gens issus de milieux populaires auront tendance à sous-estimer le bénéfice possible d’une poursuite d’études. C’était quelques mots sur l’analyse de Raymond Boudon. Puis une autre analyse connue de ces inégalités devant l’école, c’est celle que livre Pierre Bourdieu, notamment dans son ouvrage de 1989 “La noblesse d’Etat”, où il raisonne en termes de différents capitaux dont sont dotés les agents : en capital économique, capital culturel, capital social. Ce qu’il nous montre, c’est que l’école fonctionne comme instance de légitimation pour des individus qui, d’avance, sont dotés dans ces capitaux et, notamment, dans le capital culturel.

Qu'est-ce que la pauvreté?

La pauvreté est l’incapacité des individus à satisfaire leurs besoins essentiels. En septembre 2000, l’Assemblée générale des Nations-unies a adopté la déclaration du millénaire. 189 gouvernements ont décidé d’unir leurs efforts en matière de développement.
Un des principaux objectifs est celui de réduire de moitié la pauvreté extrême entre 1990 et 2015. La pauvreté absolue regroupe l’ensemble des personnes qui ont un revenu inférieur à un certain seuil budgétaire convenu. Par exemple, actuellement 1 milliard de personnes sur 1/6e de la population vit avec moins d’1 dollar par jour. Néanmoins, être pauvre en France ou en Sierra Leone ne veut pas dire la même chose, puisque les normes de société sont différentes. C’est ainsi que l’on parle de notion de seuil de pauvreté relatif.
En France, par exemple, ce seuil de pauvreté est fixé à 50% du revenu médian. Mais, au-delà de l’approche monétaire, l’ONU a voulu complexifier cette notion de pauvreté en intégrant non plus seulement le niveau de vie mais aussi les possibilités d’accéder aux soins ou les difficultés d’accéder aux services d’éducation. C’est ainsi que, depuis 1990, elle calcule l’IDH, l’indicateur de développement humain pour chaque pays qui classe les pays selon non plus seulement les conditions financières mais tout un ensemble d’informations concernant la précarité dans les pays.
Pourquoi la pauvreté contraint la croissance économique ? Parce que, dans un pays pauvre et principalement dans les pays les moins avancés, l’épargne est faible, les ressources financières ont du mal à être mobilisées pour les investissements privés et publics, la pauvreté aussi se répercute sur les comptes budgétaires des Etats qui, la plupart du temps, mènent des stratégies de lutte contre la pauvreté. Ensuite, dans certains pays où la pauvreté est persistante, la population peut être un peu en colère et cela peut mener à des troubles sociaux et politiques.
Donc où en est-on de la pauvreté ? Sept ans après la signature de ces objectifs du millénaire, l’ONU constate que l’extrême pauvreté a diminué dans le monde et, en particulier, en Asie. L’Afrique sub-saharienne pourrait, néanmoins, ne pas parvenir à atteindre les objectifs du millénaire, notamment en raison de la propagation du virus du sida, la difficulté à promouvoir l’égalité des sexes ou encore en raison des menaces qui pèsent sur les ressources en raison des changements climatiques.

Pauvreté et Inégalité

Les notions de pauvreté et d’inégalité sont très proches. Néanmoins, il ne suffit pas de calculer le produit intérieur brut par tête et le PIB par tête pour estimer la pauvreté. Prenons le cas du Brésil et de la Roumanie qui ont un PIB par tête en parité du pouvoir d’achat équivalent.
Néanmoins, le Brésil compte beaucoup plus de pauvres, enfin un taux de pauvreté beaucoup plus important que celui de la Roumanie, notamment, en raison des inégalités de revenus et des conditions de vie. C’est la courbe de Lorenz qui permet d’estimer la répartition des revenus dans un pays en calculant le pourcentage des richesses détenues par une certaine part de la population. Le coefficient de Gini, qui est compris entre 0 et 1, résume cette concentration de revenus. 0 correspond à une société très égalitaire et 1 c’est une situation dans laquelle un individu concentre l’ensemble des richesses. Prenons, par exemple, le cas de la Chine pour parler des inégalités.
Depuis quelques années, ce pays enregistre un boom économique. Néanmoins, parallèlement, on a une progression d’indices de Gini, ce qui signifie qu’il y a un creusement des inégalités internes en matière de revenus. Ceci signifie, autrement dit, que l’ensemble de la population, tous les pans de la société chinoise n’ont pas bénéficié de façon identique de la croissance économique. En France aussi, nous avons un changement de nature des inégalités et de la pauvreté.
Cette inégalité, cette nouvelle pauvreté touche principalement les jeunes urbains qui souffrent, notamment, de la montée du chômage et des emplois de plus en plus précaires, ce qui fait que beaucoup de jeunes actuellement touchent un revenu inférieur au seuil de pauvreté français.

dimanche 21 décembre 2008

L'école transforme ceux qui héritent en ceux qui méritent."

"L'école transforme ceux qui héritent en ceux qui méritent."
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron - La reproduction (1970)

L’"égalité des chances" est un pur leurre.

"L’"égalité des chances" est un pur leurre. Comment peut-on imaginer créer les conditions d’une pareille égalité dans une situation où règnent, dans tous les domaines et sous tous les rapports, les inégalités entre les individus? Le lot général réel, c’est précisément l’inégalité des chances face à l’enseignement, à l’emploi, au logement, à la santé, à la culture, etc. Les éventuelles institutions ou actions dont on attend les corrections nécessaires témoignent toutes de leur impuissance foncière à cet égard, au mieux de l'extrême modicité de leurs résultats."
Alain Bihr et Roland Pfefferkorn - Le système des inégalités (2008)

Sur les inégalités face à l'école

"De deux choses l'une : ou bien le discours scolaire, le « bon français» imposé par l'école primaire se trouve dans le prolongement plus ou moins direct des discours tenus et entendus dans le milieu familial d'origine et dans ce cas l'adaptation se fait aisément : c'est le cas des enfants de la bourgeoisie habitués dès la prime enfance à parler, à entendre parler et à lire le «bon français » : dans la classe bourgeoise, on «parle bien », on entretient avec le langage un rapport particulier : le langage y est le moyen par excellence de la communication; sa maîtrise symbolique est encouragée (cf. le grand cas fait aux «mots d'enfants») : l'enfant trempe dès sa naissance dans un bain de « beau langage », de sorte que l'adaptation à la manipulation de la langue scolaire, même si elle diffère notablement de la langue parlée dans la famille, est relativement facile l'enfant n'est pas dépaysé. Il apprend à lire et à écrire, s'il ne le sait déjà. Ou bien le «bon français» imposé par l'école primaire entre en contradiction avec les discours produits dans la classe d'origine : c'est le cas des enfants des classes populaires. Cette contradiction peut prendre concrètement deux formes; ou bien l'enfant ne sait pas parler parce que chez lui, on parle peu ou pas ; ou bien (et c'est le cas le plus fréquent), il sait parler, mais il parle autrement et surtout, d'autre chose."
Christian Baudelot et Roger Establet - L'école capitaliste en France (1971)